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Vient de paraître : "Science et légende chez Jules Verne, à propos du Château des Carpathes"

Je viens de publier dans la Revue d'Histoire littéraire de la France (122e année, 2022, vol. 4, p. 873 à 886) un article sur Le Château des Carpathes de Jules Verne, qui prolonge mon essai Le Nautilus en bouteille. Une lecture de Jules Verne à la lumière de Walter Benjamin (Rennes, Pontcerq, 2019).


Résumé: La vision du XIXe siècle que développe W. Benjamin dans ses textes sur Baudelaire et sur Paris trouve une confirmation spectaculaire dans l’œuvre de Verne, non seulement par les motifs récurrents auxquels recourt le romancier, mais aussi par la qualité même du regard qu’il porte sur son époque. C’est à montrer en quoi Les Voyages extraordinaires constituent une plongée au cœur même du « rêve collectif du XIXe siècle », pour reprendre la formule clé de Benjamin, qu'est consacré cet article.


Abstract : The vision of the nineteenth century developed by Walter Benjamin in his texts on Baudelaire and Paris is spectacularly seconded by Verne’s work, not only by the recurrent motifs used by the novelist, but also by the very quality of his view of his time. This article is devoted to showing how Les Voyages extraordinaires dives into the very heart of the “collective dream of the nineteenth century,” to use Benjamin’s key phrase.


Introduction de l'article : Dans Le Nautilus en bouteille[1], j’ai montré que bien des motifs propres à l’univers romanesque de Jules Verne reflétaient ce que Walter Benjamin appelle, dans les notes préparatoires à sa grande étude sur Paris qu’il n’a pas eu le temps de mener à son terme, le « rêve collectif du XIXe siècle[2] », c’est-à-dire l’ensemble des représentations symboliques à travers lesquelles une société donnée, à une période donnée, pense sa propre identité. La thèse centrale de Benjamin est que la société du XIXe siècle était incapable de modifier suffisamment ses structures sociales et culturelles pour s’adapter aux profonds bouleversements économiques et technologiques qui l’affectaient, et à leurs conséquences pratiques. Il en résulte une tension entre la « culture » de cette société, demeurée en quelque sorte dans le passé, et les conditions matérielles auxquelles chacun devait se soumettre dans sa vie quotidienne, et qui, sacralisées au nom du progrès, étaient présentées comme le seul futur possible pour l’humanité, et le meilleur qui soit. Cette tension explique pourquoi les hommes et les femmes du XIXe siècle font parfois preuve d’une foi en l’avenir qui confine à la naïveté, tout en redoutant que ces promesses ne se résolvent en une soudaine apocalypse. Leur société était partagée entre l’espoir d’un lendemain meilleur, que faisaient miroiter les sirènes du positivisme et du capitalisme triomphants, et les craintes qui naissaient de cette vision même des temps futurs, à cause de la brutalité et de la rapidité avec lesquelles les transformations se produisaient dans le corps social, jusqu’à y voir poindre, en surimpression, quelque sombre catastrophe. Tout lecteur de Verne perçoit intuitivement comment ce cadre très général se reflète dans les « voyages extraordinaires », dont nombre d’exégètes ont souligné les tensions internes, avec, d’un côté, des élans enthousiastes pour les sciences et les technologies les plus récentes, ou encore pour les dernières découvertes géographiques et ethnologiques, et, de l’autre, une méfiance envers l’idée de progrès, qui se traduit par une ironie grinçante, parfois même désenchantée – et que la partition chronologique de son œuvre en deux périodes, dont la seconde serait plus sombre ou plus pessimiste, n’est qu’un symptôme et un symbole quelque peu grossier. Walter Benjamin a montré dans son étude inachevée sur Paris. Capitale du XIXe siècle, ainsi que dans ses travaux plus aboutis sur Charles Baudelaire[3], que ces tensions étaient à la fois incarnées et voilées par le travail même de la représentation, à travers des motifs emblématiques, tels que les passages, les grands magasins, les ruines, les grands chantiers, les constructions en fer, les expositions universelles, les collections, les intérieurs bourgeois haussmanniens, les utopies sociales, les verres et les miroirs, les décorations intérieures sur des thèmes floraux et aquatiques, les éclairages, le chemin de fer, la photographie, les machines et les moteurs, etc. – soit autant de motifs qui, à un titre ou à un autre, se retrouvent dans l’œuvre de Verne, tels quels, ou sous des formes symboliques, comme je l’ai illustré dans Le Nautilus en bouteille en proposant des lectures minutieuses de nombreux passages de ses romans parmi les plus connus. Cette adéquation entre le cœur théorique des travaux de Walter Benjamin et les romans de Jules Verne – et, par voie de conséquence, le fait que ceux-ci reflètent au plus près « le rêve collectif du XIXe siècle » ou encore sa « phantasmagorie[4] » – avait complètement échappé au philosophe allemand, qui n’avait lu que très peu de ses récits[5], et ne voyait en lui qu’un auteur « chez qui les véhicules les plus extravagants ne transportent à travers l’espace que de petits rentiers français et anglais[6] ». Un propos pour le moins réducteur, s’il en est.

Dans cet article, plutôt que de reprendre les éléments développés dans Le Nautilus en bouteille, je me propose d’explorer une piste nouvelle, et complémentaire, en m’intéressant au Château des Carpathes, un roman qui ne faisait pas partie de mon corpus d’étude, afin de montrer comment la vision conflictuelle du XIXe siècle, et la couleur particulière qu’elle prend sous la plume de Verne, se retrouvent dans ce récit à travers les tensions que génère la confrontation, au sein de l’œuvre, entre la croyance dans les légendes et le credo positiviste et scientifique.


La suite de l'article, sous droits, est disponible sur le site de l'éditeur Classiques Garnier.

[1]. Jean-Michel Gouvard, Le Nautilus en bouteille. Une lecture de Jules Verne à la lumière de Walter Benjamin, Rennes, Pontcerq, 2019. [2]. Walter Benjamin, Paris. Capitale du XIXe siècle. Le Livre des Passages, éd. Rolf Tiedemann, traduction et adaptation par Jean Lacoste, Paris, Éditions du Cerf, 2009. [3]. Walter Benjamin, Baudelaire, éd. Giorgio Agamben, Barbara Chitussi et Clemens-Carl Härle, traduction par Patrick Charbonneau, Paris, La Fabrique, 2013. [4]. Marc Berdet, Le Chiffonnier de Paris. Walter Benjamin et les fantasmagories, Paris, Vrin, 2015. [5]. La « Liste des écrits lus par Walter Benjamin » et tenue par l’auteur (reproduite dans Je déballe ma bibliothèque. Une pratique de la collection, traduction par Philippe Ivernel, Paris, Rivages, 2015, p. 143-212), ne mentionne que Le Tour du monde en quatre-vingt jours en traduction allemande (p. 146), soit un seul titre sur les 1.250 lectures consignées. [6]. Walter Benjamin, « Expérience et pauvreté », Œuvres II, traduction par Maurice de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz, Paris, Gallimard, 2000, p. 368.



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