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Le vers discordant d'Alfred de Vigny : article en accès libre sur 'Fabula'

La version rédigée de mon étude sur "Le vers discordant d'Alfred de Vigny" est disponible sur le site Fabula en cliquant sur ce lien.

 

Résumé :

L’objectif de cet article est de montrer comment Vigny, probablement inspiré par quelques audaces d’André Chénier, a été l’un des premiers poètes du XIXe siècle à multiplier les discordances entre le vers et la phrase, afin de ménager des effets de sens qui accompagnent et complètent l’interprétation du texte. J’analyse dans un premier temps les effets qui reposent sur les syntagmes nominaux et, dans un second temps, ceux qui jouent au contraire sur les syntagmes verbaux.

 

Mots-clefs : Alfred de Vigny, vers, versification, enjambement, effet de sens.

 

Abstract :

The aim of this paper is to show how Vigny, likely inspired by some of André Chénier's bold innovations, was one of the first poets of the 19th century to multiply the disjunctions between verse and sentence, in order to create semantic effects that enhance the interpretation of the text. I first analyze the effects based on nominal phrases, and then examine those that specifically play on verbal phrases.

 

Key words : Alfred de Vigny, verse, versification, run-on line, meaning effect

 

Introduction :

 

            « Ce qui nous a le plus frappé dans le talent de M. le comte Alfred de Vigny (…), c’est cette originalité si précieuse dans tous les temps, et si rare dans le nôtre ; partout il est lui-même, et partout il est poète ; ses beautés sont à lui, ses fautes lui appartiennent, et ne sont jamais les fautes d’un homme médiocre. (…) Nous ne saurions l’engager trop fortement, dans l’intérêt de sa gloire, à se défier de certains penchants au néologisme qui se montre quelquefois dans son recueil, à renoncer à des tournures de phrases plus bizarres qu’originales qui déparent des morceaux d’ailleurs pleins de charme et d’élégance, ainsi qu’à des enjambements vicieux, dont l’effet est de donner aux vers une funeste ressemblance avec la prose[1] ». C’est par ces mots que Jacques-François Ancelot, que le récent succès de son Louis XI avait propulsé sur le devant de la scène littéraire parisienne, modérait le « talent de M. le comte Alfred de Vigny », peu après que soit paru, en 1822, le premier recueil de Poèmes de l’auteur, lesquels n’étaient pas encore qualifiés dans le titre d’« antiques et modernes ». Deux ans plus tard, dans La Muse française, Victor Hugo écrit quelques lignes pour soi-disant défendre le poète, suite à la polémique qu’avait suscitée la publication par ce dernier du poème « Eloa » dans cette même revue ; mais si lui aussi considère que « le talent de M. de Vigny a singulièrement grandi », il égrène curieusement, même si c’est pour les écarter, les nombreux défauts qu’on avait trouvés à sa poésie : « De graves négligences dans l’ordonnance de ce poème[2], l’incohérence des détails, l’obscurité de l’ensemble, les singularités d’un système de versification qui a bien sa grâce et sa douceur, mais qui a aussi ses défauts particuliers[3] ». De même, l’année suivante, Henri de Latouche, qui combattait la monarchie et détestait les jeunes romantiques, écrit dans le Mercure du XIXe siècle, la revue qu’il venait de créer : « j’entends accuser M. de Vigny d’obscurité (…) j’ajouterai même que cette obscurité est un grave défaut[4] », avant de critiquer la vision de la société qui se reflète dans l’œuvre du jeune poète. Et, en 1829, suite à la parution de la seconde édition des poésies de Vigny, Charles Magnin, qui s’était fait connaître par quelques comédies aujourd’hui oubliées, et qui œuvrait comme journaliste au Globe, un journal libéral, rappelle que, « [à] entendre les premiers lecteurs, M. Alfred de Vigny était un écrivain d’une incorrection révoltante ; prétentieux, obscur, à idées laborieusement inintelligibles[5] ». L’impression que procurait en son temps la poésie de Vigny, la voix qu’il y faisait entendre, et la forme que prenait celle-ci, tout cela s’est attiré dans les années 1820 des qualificatifs peu enviables, tels que « vicieux, négligent, incohérent, incorrect, singulier, obscur », et, celui qui était alors la condamnation suprême en un temps où la frontière entre le vers et la prose était pensée comme irréfragable[6], « prosaïque ». L’objectif de cet article sera d’éclairer comment la forme propre au vers de Vigny contribue à produire un tel effet de prose, tout en montrant que, loin d’être un « défaut », une « faute » ou une « incorrection », pour reprendre les termes des censeurs qui viennent d’être cités, elle participe au contraire à l’expression du sens par les effets qui lui sont attachés, et ce, justement parce que ceux-ci apparaissent au fil d’un discours soumis à une mesure, un mètre.


[1] Jacques-François Ancelot, dans les Annales de la Littérature et des Arts, 81e livraison, tome VII, 1822, p. 73 ; cité par Jacques-Philippe Saint-Gérand, dans la troisième section des Archives de l’œuvre, de son édition des Œuvres poétiques d’Alfred de Vigny, Paris, GF, 1978, p. 427.

[2] Hugo parle ici d’« Héléna ».

[3] Victor Hugo, dans la 11e livraison de La Muse française ; cité par Jacques-Philippe Saint-Gérand, op. cit., p. 428.

[4] Henri de Latouche, dans le Mercure du XIXe siècle, tome IX, p. 347 ; cité par Jacques-Philippe Saint-Gérand, op. cit., p. 428.

[5] Charles Magnin, dans Le Globe, 21 octobre 1829 ; cité par Jacques-Philippe Saint-Gérand, op. cit., p. 429.

[6] Voir Jean-Michel Gouvard, « Le poème en prose, une forme entropique », Francofonia, n°84, Anno XLIII, Primavera 2023, p. 55-70.


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