"Je cherche la vérité" : Un entretien avec Catherine Frot
La revue Samuel Beckett Today/Aujourd'hui publie dans sa 33ème livraison la version rédigée d'un long entretien que j'ai eu avec Catherine Frot, au printemps 2020, sur son interprétation de Winnie dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett. En voici une petite présentation :
« Je cherche la vérité »
Un entretien avec Catherine Frot
Catherine Frot
Actrice
Jean-Michel Gouvard
Université de Bordeaux Montaigne (France) / Institute of Modern Languages Research (School of Advanced Studies, University of London, UK)
Résumé:
After a short introduction which puts in context Catherine Frot’s interpretation of Winnie in Paris, in 2012, the actress exposes in a talk why she decided to take on this role, how the project has been set up, how she dealt with the text and how she made it her own, how she worked with the director Marc Paquien, how her performance has been perceived in France and in Canada, and what playing Winnie taught her about herself.
Après une brève introduction qui replace dans son contexte la reprise du rôle de Winnie par Catherine Frot en 2012, un entretien avec l’actrice relate pourquoi elle a souhaité s’attaquer à ce rôle, comment le projet s’est monté, comment elle a abordé et s’est approprié le texte de Beckett, comment elle a travaillé avec Marc Paquien, le metteur en scène, de quelle manière la pièce a été reçue par le public en France et au Canada, et enfin ce que la pièce en elle-même lui a apporté à titre personnel.
Keywords : Happy days, Theater Studies, Performing Arts, Feminine role, Talk, Catherine Frot.
Mots-clés : Oh les beaux jours, études théâtrales, interprétation, rôle féminin, Interview, Catherine Frot.
Catherine Frot a interprété pour la première fois le rôle de Winnie dans Oh les beaux jours en 2012, dans une mise en scène de Marc Paquien, avec des décors de Gérard Didier, des lumières de Dominique Brugière, des costumes de Claire Risterucci, et des maquillages de Cécile Kretschmar. Produite par Frédéric Biessy, l’actuel directeur de La Scala-Paris, la pièce a été créée au Chai Skalli à Sète le 10 janvier 2012, avant d’être jouée du 20 janvier au 29 mars au Théâtre de la Madeleine, avec Pierre Banderet dans le rôle de Willie. Après une tournée en France, la pièce est revenue à l’affiche à Paris en 2013, au Théâtre de l’Atelier, pour une série de soixante représentations, du 21 mars au 1er juin, avec cette fois-ci Jean-Claude Durand comme partenaire, avant de repartir en tournée, au Québec.
Le rôle de Winnie a tenté de nombreuses actrices, depuis qu’il a été créé dans sa version française par Madeleine Renaud, le 28 septembre 1963, lors de la Biennale de Venise, au Teatro del Ridotto, avant d’être joué à Paris au Théâtre de l’Odéon, à compter du 21 octobre de la même année. Madeleine Renaud a fortement marqué le rôle de son empreinte, non seulement par cette première performance, mais aussi parce qu’elle s’y était tellement attaché qu’elle l’a incarné à six autres reprises jusqu’à la fin de sa carrière, dont une dernière fois en 1985, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Elle a ainsi figé en une espèce de canon l’image du personnage, à tel point que toute une génération de spectateurs a identifié Winnie à l’interprétation que l’actrice en avait donnée, avec cette dimension à la fois poétique et métaphysique qui la caractérise, et qui paraissait comme en accord parfait avec sa silhouette gracile et fragile (Leiberl), même si de telles options ne correspondaient pas à l’idée initiale que Samuel Beckett avait du rôle (Knowlson, 508-509). Lorsqu’en 1992[1] Denise Gence incarna à son tour Winnie, elle s’appliqua à faire du personnage une femme forte, même si elle continuait de s’émerveiller face à “la vie jusque dans ses moindres frémissements”, et elle se crut obligée de faire savoir par voie de presse que la référence à Madeleine Renaud ne la gênait pas au prétexte que, dans le public, il y aurait toujours de nouveaux spectateurs qui n’auraient pas eu l’occasion de voir celle-ci sur scène (Salino 2012). Cette déclaration, tout comme la volonté affichée de se démarquer par son jeu du modèle institué par son aînée, sont cependant autant d’indices que cette dernière avait durablement marqué les esprits, et, dans les recensions qui suivirent les reprises du rôle en France, par des interprètes telles que Marilù Marini en 2003[2] ou Catherine Samie en 2005[3], le nom de celle qui l’avait créé continue d’être régulièrement mentionné. Comme l’écrit Sibylle Lesourd, après avoir fait l’éloge de la Winnie incarnée par Catherine Samie: “Reconnaissons toutefois la difficulté manifeste à s'écarter de la première mise en scène de Roger Blin, et de la création du rôle de Winnie par Madeleine Renaud. Car derrière cette mise en scène de Frederick Wiseman, on sent irrésistiblement l'empreinte de la grande créatrice du rôle, qui, en dépit de l'évanouissement progressif de la mémoire, est encore, visiblement, inoubliable. Je n'ai pas pu m'empêcher, tout au long du spectacle, de superposer et de reconnaître les choix d'interprétation, les inflexions de la voix” (Lesourd).
L’interprétation de Catherine Frot en 2012 a ainsi fait date en France, en ceci que l’actrice a abordé le rôle sans chercher à prendre une position, quelle qu’elle soit, par rapport à la prestation de Madeleine Renaud, et qu’elle a visé au contraire à offrir au public sa propre version du personnage, tel qu’elle le percevait. Si elle “s’inscrit dans la lignée des interprètes qui l’ont précédé” d’une quelconque manière, comme l’a écrit Jean Chollet, c’est parce que “tour à tour, mutine, coquette, gaie ou émouvante, avec la précision de sa gestuelle, de ses silences et de ses intonations, elle suscite l’empathie”, mais elle y parvient par un jeu qui n’appartient qu’à elle, fait de “légers décalages” et d’“inflexions” qui “laiss[e]nt librement flotter et entendre” le texte (Chollet). Et, de fait, les recensions, à l’instar de celle qui vient d’être citée, furent dans l’ensemble très positives, soulignant que Catherine Frot avait proposé pour la première fois au public parisien une Winnie vibrante d'humanité” (Gairin), “profondément vivante et rayonnante” (Santi), “lumineuse” (Jouve) et “radieuse” (Victor), qui, même si elle “flirte avec le désespoir inhérent au texte de Beckett” (Simon) et sait “trouve[r] des accents plus sombres quand elle s'enfonce dans le sable” (Bernard-Gresh), se montre avant tout “concrète” (Liban) et “plus incarnée”, “drôle, primesautière” (Bernard-Gresh), “burlesque et touchante” (Combes), pleine de “joie de vivre” et d’“espièglerie” (Jouve) – certains critiques ayant même estimé que, aussi éloignée qu’elle soit du canon posé jadis par Madeleine Renaud, “Catherine Frot semble faite pour le rôle” (Liban), “la frimousse de l'actrice et ses mines clownesques conv[enant] idéalement à ce petit bout de femme” (Simon).
Dans ce numéro spécial de Beckett Today/Aujourd’hui consacré à “Beckett et la scène française des années 2000”, il était incontournable de recueillir le témoignage de Catherine Frot sur les circonstances qui l’ont conduite à choisir ce rôle, la manière dont elle l’a travaillé, et ce qu’il lui a apporté dans sa pratique de comédienne. L’entretien a été réalisé par téléphone, le 26 mai 2020. Il a été ensuite réécrit à partir de notes dactylographiées, et relu par Catherine Frot.
Pour découvrir l’entretien avec Catherine Frot, suivre ce lien (article sous droits).
[1] Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, avec Denise Gence et Guy Cambreleng, mise en scène de Pierre Chabert, scénographie et costumes de Yannis Kokkos, lumières de Geneviève Soubirou, sculpture de Sophie de Meurville, Petit Théâtre de La Colline, du 9 septembre au 22 novembre 1992. [2] Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, avec Marilù Marini et Marc Toupence, mise en scène d'Arthur Nauzyciel, scénographie d'Arthur Nauzyciel et Antoine Vasseur, costumes et accessoires de Paul Quenson, lumières de Marie-Christine Soma, Odéon-Théâtre de l'Europe, aux ateliers Berthier, du 6 au 29 novembre 2003. [3] Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, avec Catherine Samie et Yves Gasc, mise en scène de Frederick Wiseman, assisté de Valérie Bezançon, scénographie et costumes de Paul Andreu, assisté de Cécile Bickart, lumières de Patrick Méeüs, Comédie française/Théâtre du Vieux-Colombier, du 22 novembre 2005 au 14 janvier 2006.
(c) Pascal Victor
Comments