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Conférence sur Samuel Beckett au séminaire "Poétiques de l'insaisissable"

“Poétiques de l'insaisissable” : Séminaire CEREC-Modernités 2023-2024


« Insaisissable » apparaît dans la langue française de la toute fin du XVIIIe siècle et fait son chemin dans la littérature au cours des XIXe et XXe siècles, tant il est vrai que l’artiste moderne se trouve sans cesse confronté à ce qui se dérobe, échappant à ses sens comme à son entendement. L’insaisissable serait-il une de ces notions aux multiples implications esthétiques permettant de fonder la modernité par opposition à ce qui l’a précédée ? Faut-il entendre les mots de Boileau, « Tout ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », comme le principe de l’écriture des XVIIe et XVIIIe siècle, ne laissant pas de place aux idées informelles, inabouties, mouvantes, aux sentiments flottants et aux émotions fugitives ? Peut-on opposer une esthétique classique pour laquelle le langage serait le moyen d’une saisie du réel à une littérature moderne qui se serait mise en quête de l’insaisissable ? Ce qui échappe à la prise du concept (qui est le domaine du discours philosophique), ce qui tend à l’impensé voire à l’impensable, trouve-t-il dans le discours littéraire moderne un moyen privilégié non pas d’expression mais de tentative inépuisable de manifestation ?

L’entreprise autobiographique inachevable de Rousseau semble déjà confrontée à cet insaisissable (« sans pouvoir dire ni penser rien de plus ») mais, à y regarder de près, c’est toute la période qui va du début du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle qui semble frappée par la difficulté de dire ce qui fuit les sens et ce qui résiste à la raison. L’insaisissable frappe davantage l’imagination artistique des moments baroques et rococos, quand les formes du monde paraissent instables, fantomatiques, ou bien évanescentes et fugaces. Tantôt le caractère énigmatique de la présence des êtres au monde, tantôt la légèreté de leur passage, produisent des poétiques de l’indéfinissable comme chez Tristan Lhermitte poète des reflets ou plus tard chez Crébillon ou Vivant Denon peintres de l’instant et de la fugacité des désirs. Le libertinage de pensée puis de mœurs joue à cache-cache avec les idées et les corps : au milieu du XVIIe siècle, Cyrano de Bergerac voyage dans les mondes possibles des philosophies contemporaines, sans jamais se fixer, tandis que ses lettres renvoient l’image étrange d’un univers impossible à saisir. Du siècle de Louis XIV au temps de Louis XVI, l’on n’en finit pas de disserter sur le je-ne-sais-quoi qui fait le charme des êtres réels ou des figures représentées. Jusque dans le discours savant, l’on s’interroge sur la possibilité de saisir les choses par les mots et sur la nature imprécise et fuyante du langage. Les encyclopédistes s’efforcent en vain de fixer l’âme dans la matière, exhibant le corps calleux où réduire l’indiscernable. Chez Diderot, l’écriture de la science et de la pensée lutte contre l’impalpable à coup de bistouri. L’insaisissable met la raison des Lumières au défi, conduisant à une remise en question de la littérature pédagogique, plus suspecte que toute autre de laisser s’échapper les idées justes. Même la fable, dont la clarté didactique ne faisait a priori pas mystère, devient chez Rousseau la cible d’une critique qui révèle en La Fontaine, parangon de l’esprit classique, le plus nébuleux et impénétrable des poètes. Et si le classicisme lui-même était travaillé de l’intérieur par ce qui ne peut s’énoncer ni se saisir ?


Calendrier prévisionnel

Les séances ont lieu les mercredis de 15H30 à 17H30 à partir du 22 novembre :

  • 22 novembre : Eric Benoit et Florence Boulerie, Introduction

  • 29 novembre : Eric Benoit, Poétiques de l’insaisissable dans la modernité littéraire

  • 6 décembre : Florence Boulerie, Penser l’insaisissable aux siècles classiques

  • 17 janvier : Clément Duyck, L’écriture de l’insaisissable dans la mystique française du XVIIe siècle

  • 24 janvier : Emmanuelle Sempère, Fantômes des Lumières : la perception fantômale

  • 31 janvier : Aurélia Gaillard, Le roroco, art de l’insaisissable

  • 7 février : Françoise Poulet, « Un je ne sais quoi de civil et de poli » : l’insaisissable lexique de la civilité au XVIIe siècle

  • 14 février : Basile Pallas, Photographier au XIXe siècle, le fantasme d'un « regard-toucher »

  • 6 mars : Jean-Michel Gouvard, Samuel Beckett, ou les mots pour ne pas le dire

  • 13 mars : Eric Dazzan, Poétique du regard et évanescence du désir chez Gustave Roud et Sandro Penna

  • 20 mars : Anna Levy et Heiata Julienne-Ista, La littérature performée : une forme éphémère et insaisissable ?

  • 27 mars : Joëlle de Sermet, La littérature, l’insaisissable et l’incertain

Un Colloque terminal aura lieu les 4 et 5 avril 2024.



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