Rapport d'activités 2018
Articles parus :
1. « L'octosyllabe et le seize-syllabe dans Le Roman inachevé d'Aragon », in Poétiques de l'octosyllabe, édité par Danièle James-Raoul et Françoise Laurent, Paris, Champion, 2018, pp. 387-408.
2. « Watt de Samuel Beckett et la France des années 1940 », Essays in French Literature and Culture, n° 55, 2018, pp. 133-149.
Direction d’ouvrages collectifs :
3. Copies corrigées du CAPES. Tome 1 Composition française. projet éditorial initié et coordonné par Jean-Michel Gouvard, avec la collaboration de Françoise Poulet, Catherine Ramond, Alice Vintenon,, Paris, Ellipses, 2018.
4. Copies corrigées du CAPES. Tome 2 Langue française, projet éditorial initié et coordonné par Jean-Michel Gouvard, avec la collaboration de Florence Plet, , Paris, Ellipses, 2018.
5. Agrégation de lettres 2019 : Tout le programme en un volume, Paris, Ellipses, 2018.
Conférences :
6. « Waiting for Godot in 1953: Performance and Reception », communication aux journées d’études Performing Beckett/Jouer Beckett, organisées par Dominic Glynn et Jean-Michel Gouvard, les 12 et 13 octobre 2018, à l’Institute of Modern Languages Research, School of Advanced Study, University of London.
7. « Corresponding with Beckett in French », communication au colloque Corresponding with Beckett, organisé par Stefano Rosignoli et Derval Tubridy, les 1er et 2 juin 2018, au Goldsmiths College, School of Advanced Study, University of London.
8. « Samuel Beckett Lost in Translation », communication aux journées d’études Literature under Constraint, organisées par Dominic Glynn et Sébastien Lemerle, 15 et 16 novembre 2018, Institute of Modern Languages Research, School of Advanced Study, University of London.
Rapport pour le Ministère de l’Education Nationale :
9. Rapport sur les épreuves écrite et orale de Grammaire de l’Agrégation externe de Grammaire, Annales, Ministère de l'Education nationale, 2018.
Ouvrage à paraître en 2019 :
Le Nautilus en bouteille, Rennes, Editions Pontcerq.
Le Nautilus en bouteille est un essai croisé sur Jules Verne et Walter Benjamin. J’y propose une lecture renouvelée de l’œuvre du romancier, qui rompt avec les habituelles hagiographies qui lui sont consacrées, et qui repose sur la thèse suivante : le succès de Jules Verne n’est pas dû à des qualités littéraires, qui ne lui ont été attribuées que rétrospectivement, à compter des années 1960, mais au fait qu’il a su traduire dans ses récits ce que j’appelle « le rêve collectif du XIXe siècle », en reprenant un concept de Walter Benjamin. C’est à identifier ce « rêve » et les modalités selon lesquelles il s’incarne dans des formes romanesques qu’est consacré le corps de l’ouvrage, qui compte quatre chapitres : « Voyages et utopies », « Intérieurs et collections », « Panoramas et aquariums » et « Ruines et fins du monde ».
Partant des travaux de Walter Benjamin, que je cherche néanmoins à renouveler et à prolonger, j’y montre que la société du XIXe siècle se caractérise par une contradiction majeure, suite à l’incapacité dans laquelle elle se trouvait de modifier ses structures sociales et culturelles, afin de s’adapter aux profonds bouleversements économiques et technologiques qui l’affectaient, et à leurs conséquences pratiques à tous les échelons et dans tous les domaines du corps social. Il en résulte une tension entre la « culture » de cette société, demeurée en quelque sorte dans le passé, et les conditions matérielles auxquelles chacun devait se soumettre dans sa vie quotidienne, et qui, désignées du nom de « progrès », étaient présentées comme le seul futur possible pour l’humanité. Cette tension explique pourquoi les hommes et les femmes du XIXe siècle font parfois preuve d’une foi en l’avenir qui confine à la naïveté, tout en redoutant que ses promesses ne se résolvent en une soudaine apocalypse. Leur société était partagée entre l’espoir d’un avenir meilleur, que faisaient miroiter les sirènes du progrès et du capitalisme triomphants, et les craintes qui naissaient de cette vision même des temps futurs, à cause de la brutalité et de la rapidité avec lesquelles les transformations se produisaient dans le corps social, jusqu’à y voir poindre, en surimpression, quelque sombre apocalypse. Tout le génie de Verne, ainsi que je le montre en proposant des lectures minutieuses de nombreux passages de ses romans les plus connus, a été de capter cet état d’esprit, et de le transposer dans son univers romanesque, à la fois par les motifs qu’il choisit, et les procédés qu’il invente, lesquels apparentent ses romans à une forme littéraire des spectacles et attractions populaires de son temps.
Ce faisant, Le Nautilus en bouteille illustre par l’exemple une conception des études littéraires, également inspirée des travaux de Walter Benjamin, qui fait de la littérature une manifestation parmi d'autres de la culture dans l’histoire.
Articles à paraître en 2019 (et au-delà…) :
1. « Honoré Daumier vu par Walter Benjamin », à paraître en 2019 dans les Cahiers Daumier.
Dans le dossier préparatoire au livre sur les passages parisiens, qu’il n’a pas eu le temps de rédiger, Walter Benjamin a consacré un cahier à Daumier, dans lequel il s’intéresse, d’une part, à la place du dessinateur dans l’histoire de la caricature européenne, et, d’autre part, aux illustrations qui ont pour thème les « bourgeois », ainsi qu’à la série L’Histoire ancienne, publiée dans Le Charivari, de décembre 1841 à janvier 1843.
L’objectif de cet article est, dans un premier temps, de caractériser la nature du regard que Benjamin porte sur Daumier, lequel procède d’un double jeu de médiations. L’une tient à ce que son approche passe essentiellement par les études sur le caricaturiste qu’ont rédigées Charles Baudelaire et d’Eduard Fuchs, le célèbre collectionneur, qui fit connaître l’œuvre de Daumier en Allemagne. L’autre tient à ce que cette première médiation est elle-même orientée par la lecture que fait Benjamin des œuvres respectives de Baudelaire et de Fuchs (voir les références bibliographiques ci-dessous).
Une fois ces éléments posés, nous montrons comment et pourquoi Walter Benjamin, dans son projet de livre sur les passages parisiens, considérait qu’Honoré Daumier était une figure emblématique du XIXe siècle, au même titre que Baudelaire, Hugo ou Saint-Simon.
2. « Beckett and French war propaganda: A new source for Waiting for Godot », à paraître en 2019 dans Journal of Romance Studies.
In this article, I demonstrate that the Second World War has had a stronger bearing on Waiting for Godot than has previously been suggested. I shall do so by focusing on the differences in terms of place names, stock phrases and puns in Beckett’s French and English versions of the play. Through analysis of new documentary evidence, I will show that the French Godot contains several allusions to Pétain’s ideology and Vichy propaganda which have remained unnoticed until now, and which has been erased in the translation process from French to English.
3. « Ville désensorcelée : Walter Benjamin lecteur de Rimbaud », à paraître dans Hommages à Jean-Jacques Lefrère, édité par Y. Frémy, Steve Murphy, D. Saint-Amand, R. St. Clair et S. Whidden, Paris, Classiques Garnier.
4. « Le lyrisme dans Le Spleen de Paris ou comment être lyrique sans l’être », à paraître dans L’Énonciation lyrique, collectif dirigé par Amir Biglari et Julie LeBlanc , Paris, Classiques Garnier.
L’impossibilité d’être un poète lyrique, au sens romantique du terme, est inscrite au cœur même du projet du Spleen de Paris. Elle explique le choix de la poésie prose, qui n’était pas un genre établi dans les années 1850-1860, et permet de comprendre pourquoi le poète pastiche et détourne les modalités propres à l’expression lyrique, par divers procédés que cette étude s’applique à dégager. Ce faisant, il prend le risque de ne plus être lyrique, pour pouvoir l’être encore.
5. « Samuel Beckett lecteur de L’Etranger: ‘I think it is important’ », article soumis à The Irish Journal of French Studies (peer-reviewed article).
6. « Voyage à travers l’impossible, une féerie scientifique ? », à paraître dans Le merveilleux scientifique en spectacle (1850-1940), édité par Claire Barel-Moisan et Laurent Bazin, revue Itinéraires, Presses Universitaires de Montréal.
Voyage à travers l’impossible est présentée par la critique comme une pièce qui, tout en ayant des « visées scientifiques » procède « comme les bonnes vieilles féeries », ce qui peut paraître paradoxal. Après avoir rappelé la place qu’elle occupe dans l’œuvre de Verne, je montre que la scénographie de cette pièce favorise un merveilleux d’ordre folklorique et mythologique, au détriment du réalisme scientifique, afin de ménager les effets les plus spectaculaires, mais que certaines connaissances ou hypothèses scientifiques sont néanmoins convoquées de manière ad hoc si elles permettent de produire de tels effets. Je poursuis en suggérant que ce qui caractérise cette féerie est, plutôt qu’un « merveilleux scientifique » proprement dit, un imaginaire « merveilleux » de type ruiniste et décadentiste, nourri de représentations scientifiques, et des inquiétudes qu’elles ont fait naître au sein de la société.
7. « Le poème en prose et l’art de la subversion : Le Spleen de Paris de Charles Baudelaire », à paraître dans Modalités et enjeux de l’écriture subversive, collectif dirigé par Kamel FEKI et Moez REBAI, Paris, Classiques Garnier.
Dans Le Spleen de Paris, Charles Baudelaire procède à une critique en règle du Paris du Second Empire, tout en décrivant les conditions nouvelles qui sont faites à l’artiste dans le monde moderne. Le regard sans concession qu’il porte sur ses contemporains se traduit par deux procédés distincts ; l’un consiste à jouer la carte de la provocation, en prêtant à ses personnages des comportements paradoxaux ; l’autre vise à subvertir les certitudes du lecteur en laissant l’interprétation du texte ouverte. En étudiant des exemples précis, cet article montre comment cette stratégie est intimement liée au genre même du poème en prose, qui était alors encore à inventer : la forme brève et prosaïque de ses textes, tout comme certains traits journalistiques de leur écriture, fonctionnent comme un camouflage, grâce auquel les « petits poèmes » s’infiltrent dans la « vie parisienne », et la mine de l’intérieur, en allant porter leur message subversif auprès d’un public qui, sans ce subterfuge, ne les aurait peut-être jamais lus.
8. « Lectures pour un front de Raymond Queneau : esquisse d’une littérature à contraintes dans les années 1944-1945 », », à paraître dans L’Oulipo et la seconde guerre mondiale, collectif dirigé par Dominic Glynn et Jean-Michel Gouvard, éditeur à confirmer.
Si la naissance de l’Oulipo, d’un point de vue factuel, date des années 1960-1963, la contribution majeure de Raymond Queneau à la création de cet « atelier » repose sur un intérêt jamais démenti chez lui pour les écritures à contraintes, intérêt qui remonte à ses tout débuts en littérature, dans la mouvance de la nébuleuse surréaliste, et qui ne fera que s’accroître au fil des années, et au gré des événements. Dans cette lente maturation, la seconde guerre mondiale constitue une étape décisive, comme en témoigne Lectures pour un front, qui recueille des réflexions aussi bien politiques que littéraires, écrites sous la forme de notes, entre le 29 septembre 1944 et le 12 novembre 1945. Raymond Queneau y associe des considérations sur le nazisme, les camps de concentration et l’épuration, à une critique en règle du surréalisme, ou encore à une analyse des procédés de composition des Quatrains de Charles Péguy, dans laquelle se dessine le principe même des Cent mille milliards de poèmes.
L’objectif de cette communication sera de montrer comment s’articulent, dans Lectures pour un front, la topique de la guerre et de l’immédiate après-guerre avec le projet naissant d’une écriture à contraintes, qui cherche à rompre non seulement avec une conception « romantique » de la littérature, mais aussi avec des procédés et des intentions qui, aux yeux d’écrivains comme Raymond Queneau, n’étaient plus en phase avec leur époque, suite au changement brutal de paradigme qu’avait instauré le conflit finissant. (N.B. : Des convergences avec d’autres écrits contemporains de Raymond Queneau seront soulignées ponctuellement.)
9. « Les rues dans Le Spleen de Paris : entre poétique et représentations culturelles », à paraître dans La rue : architecture, sociabilité, cultures, collectif édité par Pierre Hyppolite et Marc Perelman, Paris, Presses Universitaires de Paris-Ouest Nanterre.
Baudelaire a composé les textes collectés dans Le Spleen de Paris entre 1855 et 1865, une décennie qui correspond à une période de profondes transformations de la capitale, suite à la volonté de Napoléon III de moderniser la ville, tout en la marquant de son empreinte. On retrouve ainsi dans les Petits poèmes en prose des allusions aux parcs, aux passages parisiens, et surtout aux boulevards, avec l’évocation des foules qui s’y pressent, des immeubles et des commerces flambant neufs qui les longent, mais aussi des chantiers de démolition, de l’extension de l’éclairage au gaz, ou encore des travaux de « macadamisation ».
L’objet de cette étude sera de montrer tout d’abord que la représentation des rues dans Le Spleen de Paris emprunte en grande partie les motifs susmentionnés aux caricaturistes du temps, de telle sorte que ces traits ne sont pas seulement sélectionnés par Baudelaire parce qu’ils réfèrent aux rues de Paris d’un point de vue réaliste, mais aussi parce que, pour le public de l’époque, ils étaient facilement identifiables comme des « signes » de la rue, compte tenu des représentations culturelles véhiculées par la presse.
Ensuite, nous verrons que Baudelaire s’inspire également des procédés des caricaturistes, que ce soit par le grossissement du trait, qui trouve des analogues littéraires dans la focalisation, l’hyperbole et l’emphase ; ou par la dimension typique de la représentation poétique : en effet, si les rues, dans les Petits poèmes en prose, évoquent le Paris du Second Empire, celles-ci ne sont pas nommées, et presqu’aucune d’entre elles n’est identifiable – pas plus que ne le sont d’autres lieux emblématiques de la capitale. Ainsi, tel boulevard, dans tel poème, fait avant tout fonction d’archétype du grand boulevard, symbole de la ville moderne que Paris incarne, du fait même de se désincarner en tant que telle.
Il résulte, de ce double mouvement de sélection de motifs « caricaturaux », et d’effacement d’une toponymie parisienne spécifique, un effet d’abstraction et de diffraction du paysage urbain, les rues de Paris dessinant d’un texte à l’autre une image composite de la réalité, comme une mosaïque ou un kaléidoscope. La représentation des rues dans Le Spleen de Paris traduit ainsi, par la forme même qu’elle prend, la complexité de ce monde « moderne » que Baudelaire a contribué à définir – et que l’artiste ne restitue plus que par fragments, faute de pouvoir l’embrasser et le comprendre dans sa totalité.
10. « La belle esclave et le maître monstrueux : une lecture socio-culturelle de La belle Dorothée de Charles Baudelaire », à paraître dans la Revue d’études culturelles (Université de Bourgogne)
La belle Dorothée fait partie des quelques poèmes en prose du Spleen de Paris qui n’ont pas pour cadre la capitale, ou la « grande ville » dont elle est l’archétype. En effet, ce texte met en scène une jeune esclave affranchie, qui se promène dans un décor évoquant « les îles », et plus particulièrement l’île de la Réunion, où Baudelaire avait séjourné lors de son périple dans l’Océan indien, en 1841.
Ce poème en prose n’en est pas moins « parisien » d’inspiration, et pas seulement parce que Dorothée y apparaît comme l’écho « exotique » ou « tropical » des « jolies dames de Paris », dont elle ne cesse de rêver. Construit sur un procédé emprunté à Edgar Allan Poe, le texte est entièrement dirigé vers sa chute, dans laquelle le lecteur apprend que Dorothée met de côté sou après sou, pour racheter sa petite sœur à son ancien maître. Celui-ci, bien qu’il soit croqué en quelques mots, apparaît comme le type même de l’esclavagiste « monstrueux », au sens moral du terme, tel que l’avait dénoncé tout un pan de la classe politique lors des débats qui précédèrent, à l’Assemblée Nationale, l’abolition de l’esclavage, et dont j’ai montré ailleurs l’influence qu’ils avaient eue sur Baudelaire (voir réf. 2 ci-dessous). La condamnation du personnage est d’autant plus forte que le texte laisse deviner, par diverses allusions, que la jeune femme se prostitue pour gagner la somme nécessaire à la libération de sa sœur cadette.
Toutefois, le poème reste ambigu, car Baudelaire souligne que la jeune sœur est « belle et déjà presque mûre », sans que l’on puisse décider s’il cherche à appuyer le portrait à charge du maître, ou bien s’il souhaite suggérer que Dorothée veut racheter sa sœur afin de la prostituer – ce qui ferait de la jeune femme affranchie une autre forme de monstre.
Je souhaiterais établir dans cet article que cette représentation de l’esclave noire, belle, sensuelle et vénale, ainsi que celle de l’esclavagiste blanc, avare, cupide et libidineux, doivent beaucoup aux caricatures parues dans la presse satirique de l’époque, et aux codes graphiques sur lesquels elles reposent. Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche sur l’influence de la caricature de presse chez le dernier Baudelaire, dans lequel je reprends, en l’adaptant à mon corpus, la notion de « trope visuel » proposée par Barbie Zelizer dans About to die : How new images move to the public (Oxford University Press, 2010).