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« Aux frontières du réel : Littérature et réalité au XXIe siècle », 8 juin 2018, Pôle métiers du liv

The second study day of the LUC project will take place at Paris Nanterre’s Pôle Métiers du Livre in Saint-Cloud (https://polemlivre.parisnanterre.fr). The date will be 8 June 2018. Speakers include Dominique Viart (Nanterre), Alison James (Chicago), Jérôme Meizoz (UNIL), Paul Aron (ULB), Hervé Serry (CNRS)


A copy of the “argumentaire” is below.

« Aux frontières du réel : Littérature et réalité au XXIe siècle »

08 juin 2018, Pôle métiers du livre, Saint-Cloud


De la théorie antique des niveaux stylistiques au réalisme français du XIXe siècle, l’interprétation du réel à travers la représentation littéraire est une thématique ancienne des études sur la littérature (Auerbach 1946, trad. fr. 1968). Plusieurs indices portent à croire que la question a fait l’objet d’une attention renouvelée depuis le début des années 1980. Comment la littérature nous fait-elle croire qu’elle copie la réalité ? C’est à cette question que Philippe Hamon nous somme de répondre par l’analyse des différents moyens de créer l’illusion de la réalité que diverses poétiques ont encodés (Hamon 1982, p. 128). Faire du vrai en matière littéraire implique la maîtrise d’une palette de techniques mimétiques producteurs « d’effets du réel » (Barthes 1982), ayant pour fonction de garantir l’authenticité au sein du système textuel. Le discours réaliste obéit donc à des « contraintes spécifiques » (Hamon 1982, p. 127), malgré le fait que l’esthétique réaliste cherche à se faire passer pour un art sans art, « en complète transparence » (Dubois 2000, p. 31). Ainsi, ce qui passe pour le comble de la fidélité réaliste se retourne en comble de l’artifice. La vraisemblance produite par ces effets de style – on notera avec A. Compagnon le flottement terminologique, signe de la relation problématique entretenue entre le texte et la réalité (1998, p. 112) – permettrait au lecteur d’entrer dans un double-jeu d’immersion et de prise de distance par rapport à la fiction qui se déploie (Schaeffer 1999).

C’est justement cet espace liminaire entre les réalités externe et interne du texte que la production littéraire contemporaine en langue française tente d’investir. Cela explique la récurrence des termes « brouille » et « brouillage » dans le discours critique, à tel point que d’aucuns affirment la nécessité d’une séparation étanche entre la réalité et la fiction (Lavocat 2016). Symptomatique à cet égard, le genre de l’autofiction, initié par Serge Doubrovsky en réponse à la théorisation du « pacte autobiographique » par Philippe Lejeune (1975), et qui prit véritablement son essor dans les années 1990, repose sur un propos contradictoire : c’est moi et ce n’est pas moi qui écrit (Genette 1991, p. 87). De cette confusion délibérément entretenue découleront les procès d’intention faits à des écrivains tel E. Louis, accusé à la fois d’écrire trop près de la (ou de sa) vie (Histoire de la violence), et de trahir par l’invention d’une autre réalité non-indexée sur des faits historiques objectifs (En finir avec Eddy Bellegueule). D’une toute autre façon, les fictions théoriques d’un Pierre Bayard (Qui a tué Roger Ackroyd ? ; L’Enigme Tolstoïevski) bouleversent les codes de l’essai littéraire en jetant le discrédit sur les affirmations du narrateur-théoricien faites En toute mauvaise foi, pour reprendre le titre de Maxime Decout (2015).


Pour Cécile de Bary, la définition du « pacte autobiographique » par Lejeune marque un moment essentiel dans la théorisation de « l’interaction que le texte engage », par sa prise en compte d’un pacte de lecture, et ainsi de la réception (2013, p. 8-9). Cette idée d’un pacte ou d’un contrat de lecture établi vis-à-vis de la fiction, et unissant auteur et lecteur, se révèle utile pour penser La responsabilité de l’écrivain, pour reprendre en le détournant quelque peu l’ouvrage de Gisèle Sapiro (2011) à l’orée du XXIe siècle. D’autant plus qu’on a pu constater un rapprochement des champs journalistique et littéraire au cours des trente ou quarante dernières années (Aron 2012), alors qu’à différents moments historiques bien définis, dans le contexte de l’immédiat après-guerre notamment, la séparation des fonctions d’écrivain et de journaliste avait une importance capitale – en atteste le procès de Céline (Roussin 2005)). Par conséquent, il convient de s’intéresser à l’écriture de l’époque actuelle par la littérature (Viart et Rubino 2013), et de s’interroger sur le traitement littéraire opéré sur des récits de témoignage, comme dans le cas de Jean Hatzfeld, auteur d’un triptyque sur le génocide rwandais, publié dans la collection Fiction & Cie des Editions du Seuil (2000, 2003, 2007). En outre, dans la création littéraire contemporaine, l’intérêt pour le présent et le réel se manifeste par un recours à différentes techniques de prélèvement, de collage et d’assemblage, desquelles découlent des formes documentaires, comme celle du « théâtre citation » de Michel Vinaver.

Enfin, l’époque contemporaine est marquée par la diffusion d’une parole d’écrivain dans différents média (écrits et audiovisuels). De ce fait, le positionnement d’un auteur, la posture qu’il ou elle adopte, ainsi que son articulation à une esthétique littéraire (Meizoz 2007 ; 2011 ; 2016), conditionnent non seulement la réception critique de son œuvre, mais définissent les grandes lignes thématiques de sa recherche littéraire (transfusion sociale pour E. Louis, décloisonnement des et du genre pour un certain nombre d’autrices dont E. Ernaux et V. Despentes). Dans ce contexte, il n’est pas injustifié de s’interroger sur le statut et la fonction à accorder à cette parole « hors-texte » d’un écrivain contraint à travailler autant pour faire exister son image que pour faire avancer sa recherche littéraire, dans un contexte culturel de plus en plus marqué par la nécessité de la « visibilité » (Heinich 2012).


En se fixant pour objectif d’analyser le rapport entretenu entre Littérature et réalité dans la production en langue française des quarante dernières années, la deuxième journée du programme de recherche « Littérature sous contraintes/ Literature under Constraint » (L.U.C.) examinera l’articulation d’un projet littéraire à la proposition au lecteur d’un pacte de lecture d’un nouveau genre. Dans une perspective multidisciplinaire, nous croiserons différentes approches issues des études littéraires et des sciences sociales pour étudier les contraintes spécifiques qu’une telle articulation implique, tant au plan des autrices et auteurs qu’au plan des éditeurs, notamment du Seuil, éditeur emblématique des évolutions évoquées plus haut. Nous nous intéresserons également aux tentatives d’hybridation entre écriture littéraire et domaines porteurs d’une interprétation « réaliste » du réel (journalisme, histoire, sciences sociales…). Une attention particulière sera enfin accordée à l’analyse des dispositifs internes au texte (métalepses, mises en scène d’actes confessionnels) et paratextuels (présentation, correspondance), signalant l’indexation sur le réel ou, au contraire, marquant le point de départ d’une ligne de fuite vers un horizon fictif. Nous explorerons ainsi ces eaux troubles, aux frontières du réel, où la Mémoire est mise à mal par le récit, et examinerons la part de prise de risque dans les écrits (auto)biographiques (Rocca et Reeds 2013).

Format des interventions : 45 mn + 15 mn de questions

Bibliographie

Auerbach, Erich, 1968 (1946), Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard.

Aron, Paul, 2012 « Entre journalisme et littérature, l’institution du reportage », COnTEXTES 11, URL : http://journals.openedition.org/contextes

Barthes, Roland, « L’effet de réel », Littérature et réalité, pp. 81-90, Paris, Seuil.

Bayard, Pierre, 1998, Qui a tué Roger Ackroyd ?, Paris, Minuit.

Bayard, Pierre, 2017, L’énigme Tolstoïevski, Paris, Minuit.

Compagnon, Antoine, 1998, Le démon de la théorie : Littérature et sens commun, Paris, Seuil.

De Bary, Cécile, 2013, « Introduction », Itinéraires, 2013-1 | URL : http://itineraires.revues.org/773

Decout, Maxime, 2015, En toute mauvaise foi, Paris, Minuit.

Dubois, Jacques, 2000, Les romanciers du réel. De Balzac à Simenon, Paris, Seuil.

Gefen, Alexandre, 2016, « Le monde n’existe pas : le « nouveau réalisme » de la littérature française contemporaine », in Majorano, Matteo (dir.), L’incoerenza creativa nella narrativa francese contemporanea, pp. 115 – 25.

Genette, Gérard, 1991, Fiction et diction, Paris, Seuil.

Hamon, Philippe, 1982, « Un discours contraint », Littérature et réalité, pp. 119-181, Paris, Seuil.

Hatzfeld, Jean, 2000, Dans le nu de la vie, Paris, Seuil.

Hatzfeld, Jean, 2003, Une saison de manchettes, Paris Seuil.

Hatzfeld, Jean, 2007, La stratégie des antilopes, Paris, Seuil.

Heinich, Nathalie, 2012, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard.

Lavocat, Françoise, 2016, Fait et Fiction – Pour une frontière, Paris, Seuil.

Lejeune, Philippe, 1975, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil.

Louis, Edouard, 2014, En finir avec Eddy Bellegueule, Paris, Seuil.

Louis, Edouard, 2016, Histoire de la violence, Paris, Seuil.

Meizoz, Jérôme, 2007, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine.

Meizoz, Jérôme, 2011 La fabrique des singularités. Postures II, Genève, Slatkine.

Rocca, Anna, Reeds, Kenneth, 2013, Women Taking Risks in Contemporary Autobiographical Narratives, Newcastle, Cambridge Scholars Press.

Roussin, Philippe, 2005, Misère de la littérature, terreur de l’histoire : Céline et la littérature contemporaine, Paris, Gallimard.

Sapiro Gisèle, 2011, La responsabilité de l’écrivain, Paris, La découverte.

Schaeffer, Jean-Marie, 1999, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil.

Viart, Dominique, Rubino, Gianfranco (dir.), 2013, Ecrire le présent, Paris, Armand Colin.



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