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Vient de paraître : "Energie et hystérie chez Baudelaire"

La version rédigée de la communication que j'ai prononcée au printemps dernier, à Bordeaux, dans le cadre du séminaire de recherche "Ecritures de l'énergie" de l'équipe TELEM (EA 4195), vient d'être publiée.


Référence bibliographique : Jean-Michel Gouvard, "Energie et hystérie chez Baudelaire", in Ecritures de l'énergie, édité par Eric Benoît, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, collection "Modernités", 2017, pp. 185-202.


Introduction:


L’énergie est au centre de la poétique de Baudelaire [1]. Bien que cette notion s’enracine dans un héritage romantique aussi bien livresque que pictural et musical, le poète se l’est approprié pour lui prêter une force créatrice prépondérante, par laquelle l’artiste s’arrache à l’ennui, et dépasse sa condition d’homme [2]. « Le mauvais vitrier », dans Le Spleen de Paris, en offre une illustration exemplaire[3]. Suivant un patron sur lequel sont construites plusieurs pièces du recueil, le poème se subdivise en deux parties : la première développe des considérations générales sur un type de comportement, dans un style qui n’est pas sans rappeler les moralistes du XVIIIe siècle, comme Vauvenargues ; la seconde illustre par l’exemple le type qui a ainsi été défini[4]. Dans le premier volet du « Mauvais vitrier », Baudelaire utilise à deux reprises le mot « énergie » :

Il y a des natures purement contemplatives et tout à fait impropres à l’action, qui cependant, sous une impulsion mystérieuse et inconnue, agissent quelquefois avec une rapidité dont elles se seraient crues elles-mêmes incapables.

[…] Le moraliste et le médecin, qui prétendent tout savoir, ne peuvent pas expliquer d’où vient si subitement une si folle énergie à ces âmes paresseuses et voluptueuses, et comment, incapables d’accomplir les choses les plus simples et les plus nécessaires, elles trouvent à une certaine minute un courage de luxe pour exécuter les actes les plus absurdes et souvent même les plus dangereux. […]

C’est une espèce d’énergie qui jaillit de l’ennui et de la rêverie ; et ceux en qui elle se manifeste si inopinément sont, en général, comme je l’ai dit, les plus indolents et les plus rêveurs des êtres. [5]

L’énergie y est articulée avec des motifs convergents et divergents. Si elle est renforcée par les termes « impulsion », « rapidité », « courage de luxe », elle se détache sur une toile de fond qui est comme son envers, et que dessinent les expressions « natures […] contemplatives », « impropres à l’action », « âmes paresseuses et voluptueuses », « incapables », « ennui », « rêverie », « les plus indolents et les plus rêveurs » : l’énergie est ce qui permet d’échapper à un ennui qui se confond peu ou prou avec la condition faite à l’homme dans la société du Second Empire, et la soumission à l’ordre social, moral et politique[6].

Après ce préambule, commence l’anecdote qui illustre ce comportement « typique ». Le poète s’interrompt toutefois rapidement, pour apporter une précision entre parenthèses :


J’ai été plus d’une fois victime de ces crises et de ces élans, […].

Un matin je m’étais levé maussade, triste, fatigué d’oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d’éclat ; et j’ouvris la fenêtre, hélas !

(Observez, je vous prie, que l’esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n’est pas le résultat d’un travail ou d’une combinaison, mais d’une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l’ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d’actions dangereuses ou inconvenantes.)[7]


La relation entre l’énergie et ce qui est ici dénommé « humeur satanique » est récurrente dans l’œuvre, et a déjà été étudié[8]. En revanche, le rapport entre cette même énergie créatrice et l’« humeur hystérique » a moins souvent retenu l’attention, peut-être parce que le médecin est présenté comme un type qui pense « moins bien » que les zélateurs de Satan[9]. Pourtant, le lien entre énergie et hystérie est à nouveau souligné dans la clausule de l’anecdote. Après que le narrateur a brisé les vitres que l’artisan portait sur son dos, en projetant un pot de fleurs, il conclut :


Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : "La vie en beau ! la vie en beau !"

Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu’importe l’éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l’infini de la jouissance ?[10]


On retrouve une allusion au démon, à travers l’expression assez convenue « l’éternité de la damnation », mais aussi à l’hystérie, le nom « folie » faisant écho à la « folle énergie » mentionnée au début du poème, et la périphrase « plaisanteries nerveuses » sonnant comme une description périphrastique de ce que peut être une crise d’hystérie aux yeux des bien-portants.

L’objectif de cet article est d’établir que, loin d’être accidentel, et résulter d’une simple métaphore filée que ce poème en prose mettrait ponctuellement en œuvre, le lien entre énergie et hystérie est déterminant dans la réflexion esthétique de Baudelaire. Je passe en revue les représentations que l’on associait au milieu du dix-neuvième siècle à l’hystérie et au type (féminin) de l’hystérique, tout en montrant comment certaines d’entre elles ont été récupérées par Baudelaire, et intégrées à son imaginaire et à sa poétique.


La suite de l'article est consultable en suivant ce lien.

[1] Thélot Jérôme, Violence et poésie, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1990 ; Yves Charnet, Figurer l'énergie. Baudelaire écrivain du visuel, thèse, Université Charles de Gaulle-Lille 3, 1995.

[2] Dolf Oehler, Juin 1848. Le Spleen contre l’oubli. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Marx, Paris, La fabrique, 2017 [nouvelle édition augmentée].

[3] Murphy, Steve, « Le mauvais vitrier », in Lectures du Spleen de Paris, Paris, Champion, 2006, p.325-392.

[4] Jean-Michel Gouvard, Charles Baudelaire. Le Spleen de Paris, Paris, Ellipses, 2014, p.54-73.

[5] Le Spleen de Paris, édition de Jean-Luc Steinmetz, Paris, Le Livre de poche, 2003, p.78-79.

[6] Thélot op. cit. ; Oehler, op. cit.

[7] Le Spleen de Paris, op. cit., p.80.

[8] Charnet, op. cit.

[9] Gérard Casarian, « La figure du poète hystérique ou l’allégorie chez Baudelaire », Poétique, n°86, avril 1991 ; Pierre Laforgue, Ut pictura poesis. Baudelaire, la peinture et le romantisme, Lyon, PUL, 2000, p. 72-82.

[10] Op. cit., p.82.

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