In memoriam Joëlle Gardes
Joëlle Gardes vient de nous quitter.
J’avais commencé à m’intéresser à ses travaux sur la poésie alors que je préparais ma thèse sur l’alexandrin dans la seconde moitié du XIXe siècle. Je l’avais rencontrée pour la première fois lors de la soutenance, à laquelle elle avait eu la gentillesse d’accepter de participer, et nous nous étions tout de suite très bien entendus. J’avais immédiatement apprécié son souci des détails, sa clarté et sa précision, et sa volonté de toujours associer la théorisation avec une description minutieuse des faits de langue.
Quelques années plus tard, c’est sous sa direction, et avec ses conseils avisés, que j’ai passé mon Habilitation à diriger des recherches, à Aix-Marseille, l’université où elle a enseigné et animé la recherche en lettres pendant l’essentiel de sa carrière.
Nos routes se sont ensuite croisées à plusieurs occasions, en même temps que nous avions pris l’habitude de nous envoyer nos publications respectives. Parmi celles-ci, je voudrais dire quelques mots de deux de ses ouvrages, qui m’ont particulièrement marqué, hormis ses travaux sur la métaphore, auxquels elle s’est consacrée lorsqu’elle était encore au début de sa carrière, et qui sont à mon avis incontournables sur le sujet.
Tout d’abord, sa Grammaire de l’écrit, dans laquelle elle pose la question de l’existence d’une langue écrite (et littéraire), distincte de la langue orale, et tente d’en cerner les contours. Comme elle le disait elle-même, et le regrettait, cet ouvrage est passé complètement inaperçu, car il se situe en de-dehors de tout cadre théorique compatible avec les théories en vogue chez les linguistes – et, pour être aussi peu soucieux qu’elle de rentrer dans des moules préfabriqués, je pense avoir été l’un des rares à en avoir repris plusieurs propositions dans mes articles. Pourtant, c’est un ouvrage essentiel non seulement pour comprendre qui était Joëlle, et quel rapport elle avait à la langue et à la littérature, mais aussi par les problèmes qu’il pose, et les perspectives qu’il ouvre.
Un autre travail remarquable est l’édition qu’elle avait préparée des œuvres complètes de Saint-John Perse, dans La Pléiade, laquelle n’a pu voir le jour pour des raisons qu’il serait malvenu de rappeler en ce jour. Tous ceux et toutes celles qui ont pu consulter l’imposant dossier qu’elle avait mis au point n’auront pu que reconnaître la qualité du travail qui avait été le sien, sa passion certaine pour cet auteur, et la connaissance intime et approfondie qu’elle en avait.
Comme chacun sait, ces dernières années, Joëlle s’était tournée de plus en plus vers la littérature, non seulement dans ses recherches, mais par sa plume, et la dernière fois que je l’ai eue au téléphone, voici déjà quelques temps, elle m’avait dit combien elle était heureuse de consacrer son temps à l’écriture, au roman et au théâtre. Elle se sera, jusqu’à la fin de sa vie, consacrée à cela qu’elle aimait.