Jules Verne, utopique et archaïque
Conférence prononcée le 3 novembre 2016, à l'Ecole Normale Supérieure, dans le cadre du séminaire "Jules Verne et les récits des autres mondes" (responsable : Elsa Courant)
Dans ses écrits sur Paris au XIXe siècle (Paris capitale du XIXe siècle, 2009, Editions du CERF), Walter Benjamin considère que l’une des caractéristiques de la période réside dans la tension croissante entre les nouvelles techniques, qui se sont imposées avec la révolution industrielle, et une société qui demeure archaïque par bien des aspects et est inadaptée à cet ordre nouveau. Il s’ensuit, d’une part, que la technique s’émancipe de l’art, et, d’autre part, que l’art entoure d’illusions nostalgiques la représentation de la technique, et du nouvel ordre social qui lui est associé.
L’objet de cette communication sera de montrer que ces « illusions nostalgiques » se traduisent, chez Jules Verne, (i) par des procédés narratifs et descriptifs qui s’inspirent en partie du discours utopique, qu’il soit littéraire, politique, ou philosophique ; et (ii) par des choix lexicaux qui renvoient à des genres traditionnellement associés à un passé rêvé et merveilleux, comme les contes folkloriques, ou les « féeries » des théâtres populaires. Cette orientation de son écriture est particulièrement sensible dans les récits de voyage qui décrivent des mondes plus ou moins imaginaires ; mais je serai amené à montrer qu’elle contamine aussi les aventures plus sérieusement documentées, même si c’est à un moindre degré.
Je souhaite ainsi suggérer que, malgré l’intérêt et la fascination de Verne pour les sciences de son temps, son écriture n’en reflète pas moins la nostalgie d’un monde où la technique ne se serait pas émancipée de l’emprise de l’art ; et que l’écriture d’une œuvre articulant science et littérature a peut-être été pour lui un moyen de résoudre en partie cette tension.